BRICS : pas aussi solides que leur nom le suggère

Jules Boudreau, MA, CFA
Économiste principal, équipe des stratégies multi-actifs Mackenzie

Points saillants

  • Le 15e sommet du groupe des pays BRICS n’a entraîné aucun changement dans l’ordre économique mondial.
  • Le nombre accru de membres des BRICS affaiblit, plutôt que renforce, la pertinence du groupe.
  • Les BRICS n’émettront pas de monnaie capable de rivaliser avec le dollar américain. En fait, ils ne sont pas en mesure de le faire. 

L’acronyme BRICS est excellent, mais pas le concept pour une alliance économique mondiale. Les pays BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud — forment un groupe hétérogène, avec peu d’objectifs communs en matière de politique économique. Le groupe a été imaginé par un analyste de Goldman Sachs en 2001, dans le cadre d’une stratégie d’investissement pour les pays émergents à croissance rapide. Avec une genèse aussi maladroite, il n’est pas étonnant que les pays peinent à coopérer. De plus, deux des cinq membres fondateurs, l’Inde et la Chine, sont des rivaux géopolitiques, tandis que la Russie est un allié toxique.

L’alliance BRICS n’est pas nouvelle. Elle a commencé à se former il y a près de 15 ans autour de l’acronyme de Goldman Sachs et a tenu son premier sommet officiel en 2009. Depuis ce temps, elle n’a pas réussi à prendre des mesures communes significatives. Son projet de système de communication par fibre optique — le câble BRICS — est dans une impasse. La Nouvelle banque de développement, une alternative à la Banque mondiale, n’a conclu qu’une poignée de contrats de prêts et a coupé les liens avec la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine. L’accord de contingence sur les réserves, une alternative au FMI, n’a jamais vu le jour.

Mais peut-être qu’après une décennie et demie sans grande pertinence, les BRICS sont sur le point de passer à la vitesse supérieure avec leurs 15e sommet, qui a vu l’ajout de six nouveaux membres : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis (EAU). En fait, nous affirmerons plutôt le contraire : cette expansion affaiblit le groupe. Elle fait en sorte qu’il est moins probable que la collaboration entre les BRICS aboutisse à des résultats politiques. Tout d’abord, deux des membres fondateurs des BRICS, le Brésil et l’Inde, ont des valeurs démocratiques fortes et se sentaient déjà mal à l’aise de collaborer avec la Chine et la Russie, même s’ils y voyaient des avantages économiques. L’ajout de l’Iran, de l’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis mettra encore plus à l’épreuve le spectre idéologique. En fait, le Brésil et l’Inde se seraient opposés à l’expansion des BRICS initiée par la Chine. Le G7 fonctionne en tant que forum économique parce que ses membres partagent des idéaux de démocratie et de libéralisme. Il n’est pas évident de savoir quelles sont les valeurs communes des BRICS, si ce n’est une vague aversion pour l’hégémonie américaine. 

Les BRICS élargis regroupent près de la moitié de la population mondiale

Part des groupes dans le PIB mondial, la population et la protection de pétrole brut

Figure 1. June’s hike undoes January’s expectations-driven momentum

Source : FMI, Banque mondiale, Agence internationale de l’énergie. Le PIB et la production de pétrole sont les valeurs annuelles pour 2022. La population est celle de la fin de l’année 2022.

Deuxièmement, l’inefficacité des BRICS ne s’explique pas par leur manque de puissance économique et géopolitique. Les pays fondateurs des BRICS représentent environ 41 % de la population mondiale et 26 % de son PIB. Son inefficacité est due à l’hétérogénéité de ses aspirations économiques et politiques. La recherche d’un consensus ne sera pas facilitée par l’ajout de trois « pétro-États » (Iran, Arabie saoudite, EAU), de deux nations instables (Éthiopie, Égypte) et d’un cas désespéré sur le plan économique (Argentine).

Troisièmement, l’expansion risque de modifier l’équilibre des pouvoirs au sein des BRICS vers la Chine, ce qui pourrait amener l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil à perdre confiance dans le forum. La Chine a été la force motrice de l’expansion, et elle a renforcé ses relations avec les six nouveaux membres au cours des dernières années. La Chine est, en soi, une force politique et économique. Avec ou sans les BRICS, elle peut influencer l’économie mondiale. Mais la possibilité que les BRICS deviennent plus qu’un simple mandataire de la Chine, avec une légitimité sur la scène mondiale, est affaiblie par les événements récents.

L’émission d’une monnaie BRICS — une des propositions du bloc — a été présentée comme un élément qui pourrait perturber l’hégémonie du dollar américain. Selon nous, même si la monnaie BRICS se concrétise, elle ne deviendra pas une monnaie majeure en mesure de défier le dollar américain.

Les pays BRICS sont trop différents pour adopter une monnaie unique. Les fluctuations des monnaies permettent à un pays d’absorber les chocs économiques. Même les pays de la zone euro, qui se ressemblent plus, ont du mal à absorber les chocs économiques à cause de leur monnaie commune.

Une monnaie n’est pas seulement une unité de compte ; elle représente des créances sur des actifs quelque part. Actuellement, le modèle économique des pays BRICS, à l’exception de l’Inde, consiste à exporter beaucoup et à accumuler des dollars (c’est-à-dire des actifs américains). Ils ont besoin d’un pays secondaire où placer tous leurs excédents d’épargne provenant de la vente de marchandises à l’étranger. Actuellement, les États-Unis et d’autres pays développés jouent ce rôle. S’ils devaient véritablement se dissocier des États-Unis et concevoir un système commercial BRICS fermé, certains des pays BRICS devraient trouver un substitut aux États-Unis et enregistrer des déficits commerciaux (c’est-à-dire importer plus qu’ils n’exportent). Toutefois, aucun des pays BRICS n’a la volonté ou la capacité d’inverser son modèle économique pour passer d’une économie basée sur les exportations à une économie basée sur la consommation. Notre commentaire de mai explique pourquoi la Chine est loin d’être prête à jouer le rôle de consommateur mondial.

L’Inde pourrait éventuellement absorber une partie de l’excédent commercial, mais elle est trop instable et trop risquée pour devenir la « valeur refuge » des BRICS. L’année dernière, la Russie a tenté de vendre du pétrole en roupies indiennes, plutôt qu’en dollars, mais l’arrangement a rapidement échoué. L’Inde ne voulait pas que la Russie achète des actifs indiens, et la Russie ne voulait pas d’actifs indiens. 

Les pays BRICS+ ont besoin d’un endroit pour stocker annuellement 1,4 % du PIB mondial en capitaux excédentaires

Solde des paiements courants en dollars US

Figure 1. June’s hike undoes January’s expectations-driven momentum

Source : FMI, valeurs annuelles, dernier point de données en 2022.

Nous nous attendons à une dépréciation du dollar américain au cours de la prochaine décennie. Les taux d’intérêt élevés, l’exceptionnalisme de la croissance américaine menée par le gouvernement et les chocs géopolitiques ont fait en sorte que le dollar est maintenant nettement surévalué par rapport aux données fondamentales. Il est même possible que le statut de valeur refuge du dollar américain perde de son éclat en raison de l’incertitude engendrée par les États-Unis. Les divisions partisanes, l’utilisation du dollar américain pour les sanctions et le risque lié au plafond de la dette pourraient tous constituer des éléments déclencheurs. Cependant, il est très peu probable que la chute du dollar américain provienne d’un choc externe, d’une tentative délibérée d’un pays ou d’un groupe de pays de présenter une solution de rechange au dollar. Il n’y a aucune autre possibilité, à moins que la Chine ne fasse volte-face en matière de politique économique et financière en libéralisant son compte de capital et en cessant de subventionner les exportations pour soutenir la consommation. Les chances que cela se produise prochainement sont faibles. Nous reviendrons sur cette possibilité dans les années 2030. 

Mise à jour sur les marchés financiers

Ce qui retiendra notre attention en septembre

14 septembre : décision de la Banque centrale européenne (BCE)

  • Début septembre, les marchés estiment qu’il y a une chance sur quatre que la BCE augmente ses taux lors de sa réunion de septembre.
  • L’économie de la zone euro est beaucoup plus faible que celle des États-Unis. Elle est exposée à un ralentissement de l’économie chinoise et sa crise inflationniste est causée principalement par l’offre. La BCE risque donc de trop resserrer sa politique. 

20 septembre : décision de politique monétaire de la Fed

  • L’économie américaine est en plein essor, il s’agit donc d’un moment inhabituel pour la Fed de marquer une pause, mais les marchés estiment qu’il y a très peu de chances que la Fed relève ses taux lors de sa réunion de septembre.
  • L’inflation aux États-Unis diminue, mais la croissance nominale reste nettement supérieure à la tendance et la flambée des prix du pétrole entraînera l’inflation — globale et sous-jacente — à la hausse au cours des prochains mois. Même si nous ne nous pensons pas que la Fed modifiera ses taux en septembre, nous nous attendons à un message ferme de Jerome Powell, le président de la Fed, lors de la conférence de presse.

21-22 septembre : décision de politique de la Banque du Japon

  • La Banque du Japon a timidement normalisé sa politique lors de sa réunion de juillet en modifiant son programme de contrôle de la courbe de rendement.
  • Avec une inflation de base supérieure à 2 % et des prévisions d’inflation qui continuent d’augmenter, la Banque du Japon pourrait tenter de resserrer sa politique lors de sa réunion de septembre. Cependant, elle a l’habitude d’agir lentement et au moment où les investisseurs s’y attendent le moins. Étant donné que les marchés sont encore en train de digérer la modification récente de la politique monétaire, la Banque du Japon attendra probablement avant d’apporter d’autres changements.

Thème émergent : premiers signes d’une récession au Canada

La croissance du PIB pour le deuxième trimestre a atteint -0,2 %, ce qui est inférieur à la prévision moyenne des économistes, qui était de 1,2 %. Il s’agit des premiers points de données négatifs pour le Canada cette année. Au cours des dernières semaines, les indicateurs de l’ensemble de l’économie (heures travaillées, taux d’emploi, ventes au détail, indices PMI) ont commencé à s’affaiblir. Il ne s’agit de rien de dramatique, mais d’un léger fléchissement dans l’ensemble des indicateurs. Les données négatives relatives au PIB confirment la tendance.

La consommation des ménages, l’investissement résidentiel (quoi de neuf ?) et les exportations ont contribué aux données décevantes. Les dépenses en biens durables et en logement devraient encore diminuer au troisième trimestre, car les récentes hausses de 50 points de base de la Banque du Canada commencent à faire sentir leurs effets.

L’investissement résidentiel se démarque : les entreprises fabriquent des biens. Il s’agit du reflet, dans une bien moindre mesure, de la tendance étonnante des investissements manufacturiers subventionnés au sud de la frontière. L’investissement des entreprises constitue un moteur clé des cycles économiques. Dans ce cas, nous ne pensons pas que sa vigueur empêchera un ralentissement de l’économie canadienne, mais permettra de l’amortir.

L’une de nos principales prévisions pour les trimestres à venir est une divergence dans la trajectoire des économies canadienne et américaine. Les États-Unis devraient poursuivre leur progression, tandis que l’économie canadienne s’essoufflera. Aux États-Unis, la politique monétaire est moins contraignante, les dépenses publiques apportent un soutien massif à court terme et les bilans des consommateurs sont plus sains.

L’économie canadienne s’essoufle au deuxième trimestre

Figure 2. Shorting Canadian bonds was one of the winning trades of Q2

Source : Statistique Canada

Équipe des stratégies multi-actifs

Des résultats de portefeuille solides grâce à une réflexion de prochaine génération

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Perspectives de placement tactiques

Tactical investment views

Source : Placements Mackenzie
Remarque : Les opinions exprimées dans ce document s’appliquent aux produits gérés activement par l’équipe des stratégies multi-actifs.

Points saillants du positionnement

Position neutre en actions : Notre opinion macroéconomique générale est celle d’un « atterrissage retardé » pour le reste de 2023 : une croissance résiliente (pas de récession aux États-Unis), une inflation persistante et des taux plus élevés pendant plus longtemps. L’élan de la croissance aux États-Unis est robuste, l’emploi, les investissements et la production industrielle ont tous fait preuve de résilience au cours des derniers mois. Un scénario d’« absence d’atterrissage » est tout autant favorable que défavorable pour les actions : les conditions financières seront resserrées, exerçant de la pression sur les valorisations, mais les paramètres fondamentaux (nominaux) des entreprises devraient rester solides. En matière de composition d’actions, nous avons une légère préférence pour les actions internationales. Les actions américaines sont plus onéreuses depuis la récente poussée découlant de l’IA, et les actions internationales devraient tirer parti d’une croissance économique nominale robuste.

Sous-pondération en obligations : Aux États-Unis, l’inflation sera persistante et demeurera bien au-delà de la cible d’ici la fin de 2023. Nous apprécions certains segments des titres à revenu fixe d’un point de vue relatif, comme les obligations du gouvernement canadien et les bunds allemands à court terme. Mais en général, nous maintenons la sous-pondération des obligations.

Devises de marchés émergents exportateurs de produits de base : Les marchés émergents exportateurs de produits de base sont en bonne position pour dégager des rendements supérieurs dans ce contexte macroéconomique. Leurs soldes budgétaires et externes se sont améliorés grâce à la forte croissance mondiale nominale et aux prix élevés des produits de base. Leurs banques centrales ont commencé à rehausser leurs taux beaucoup plus tôt que le reste du monde. Par conséquent, ils ont en général atteint la fin de leur cycle de resserrement, réduisant le risque d’un resserrement excessif pouvant les plonger en récession. Mais le niveau des taux demeure élevé, présentant un portage positif par rapport à la plupart des autres devises. D’un autre côté, nous avons une opinion négative à l’égard des devises de certains pays asiatiques de marchés émergents. Leurs positions externes se sont gravement dégradées, et leurs taux d’intérêt sont relativement bas.

Divergence de la politique monétaire japonaise : La Banque du Japon (BdJ) a rehaussé sa tolérance envers son taux à 10 ans cible de 25 pdb en décembre, et de 50 pdb additionnels en juillet 2023. Avec un yen fortement sous-évalué et l’augmentation rapide de l’inflation de base, la BdJ pourrait prendre d’autres mesures de resserrement en 2023, poussant les taux à la hausse. Nous surpondérons le yen japonais dans nos fonds, et évitons les obligations du gouvernement japonais à long terme.

Pour d’autres nouvelles et commentaires au sujet des marchés, consultez notre page Le point sur les marchés

Rendements des marchés financiers en août

Capital markets returns in June

Remarques : Données sur les marchés obtenues de Bloomberg au 31 août 2023. Les rendements des indices sont pour la période suivante : du 1er août 2023 au 31 août 2023. Dans l’ordre, les indices sont les suivants : MSCI monde (monnaies locales), BBG Barclays Multiverse, S&500 (USD), indice composé 60 TSX (CAD), Nikkei 225 (JPY), FTSE 100 (GBP), EuroStoxx 50 (EUR), MSCI ME (monnaies locales), Russell 2000 — Russell 1000, Russell 1000 valeur — Russell 1000 croissance, contrat à terme Trésor 10 ans États-Unis, contrat à terme obligations État 10 ans Canada, contrat à terme obligations gilt 10 ans R.-U., contrat à terme bund 10 ans Allemagne, contrat à terme obligations 10 ans Japon, BAML HY Master II, iBoxx US Liquid IG, Leveraged Loans BBG (USD), obligations provinciales (FTSE/TMX Universe), BAML Canada Corp, BAML Canada IL, BBG Gold, BBG WTI, REIT (MSCI Local), Infrastructure (MSCI Local), BBG CADUSD, BBG GBPUSD, BBG EURUSD, BBG JPYUSD.

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Jules Boudreau, MA, CFA
Économiste principal, équipe des stratégies multi-actifs Mackenzie

Jules Boudreau est économiste principal au sein de l’équipe des stratégies multi-actifs Mackenzie. Jules mène les efforts en recherche macro de l’équipe, informant le positionnement de fonds d’investissement multi-actifs totalisant plus de 40 milliards $ en actifs sous gestion. Il effectue aussi l’analyse de tendances et d’événements économiques. Il présente régulièrement des exposés sur l’interaction entre les marchés et l’économie mondiale et ce, dans les deux langues officielles.

Avant de rejoindre Placements Mackenzie, Jules était à la Banque du Canada, où il contribuait à l’Enquête sur les perspectives des entreprises. Il menait aussi des recherches quantitatives sur l’efficacité de la politique monétaire et sur les dynamiques de l’inflation. Jules est titulaire d’une maîtrise en sciences économiques de l’Université de la Colombie-Britannique, où il était boursier du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH). Il est aussi titulaire d’un baccalauréat en en sciences économiques et mathématiques de l’Université McGill. Il détient également le titre de Chartered Financial Analyst (CFA).